Le mois de mars
Le soleil blanc dans le ciel bleu
A travers la vitre t’invite ;
Ne quitte pas le coin du feu,
Tant qu’une toux âpre t’agite ;
De mars les rayons sont trompeurs :
Ta cheminée a des jacinthes,
Des tulipes aux cent couleurs ;
Ne va pas éveiller mes craintes.
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.
Je vois dans le calendrier
Mars ouvrir la saison fleurie
Avec sa tête de bélier ;
Il fait reverdir la prairie.
Lucine accomplit ses travaux ;
S’allégeant du poids qui l’oppresse,
La brebis met bas ses agneaux,
Si vifs quand ta main les caresse !
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.
Le hâle souffle, et les guérets
Recouvrent la jaune charrues ;
Bœufs et chevaux rompent leurs traits ;
L’air se remplit du bruit des grues.
Hâle en mars annonce produit,
Dit un vieux proverbe ; de même,
Le laboureur se réjouit
S’il voit mars tomber en carême.
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.
De ta fenêtre en tous les sens
Tu vois le premier vert s’étendre
Sur les plaines et les versants ;
Peut-on rêver rien de plus tendre ?
Dans le lointain les bois sont roux
Et gardent leur belle fourrure ;
Imite-les tant que la toux
Ebranle ta frêle structure.
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.
Avant d’être verts, les buissons
Se couronnent d’épines blanches :
Faut-il te dire les chansons
Qui traversent l’air et les branches ?
C’est une joyeuse rumeur :
Les merles raillent les fauvettes.
J’oubliais ! aspire l’odeur
De ces premières violettes !
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.
Mars est vaincu, plus de hasards !
Et le zouave s’en console
En buvant la bière de mars
Côte à côte avec son idole.
Ce mois fatal me semble long :
Quand donc reviendra l’hirondelle,
Et le rossignol du vallon,
Pour qu’elle aussi rouvre son aile ?
Ne quitte pas ton doux abri,
Ma fleur voilée ;
La rose du pêcher fleuri
Périt,
A la moindre gelée.