La Brune
Que je vous parle d’une brune,
Dont les yeux luisent doucement
Comme le croissant de la lune
Reflété dans un lac dormant ;
De qui la taille est svelte et fine
Comme la tige des palmiers,
De qui la bouche est purpurine
Comme la pourpre des rosiers,
De qui la parole divine
Eût courbé des rois à ses pieds.
Inclinez-vous quand elle passe,
Arbres et fleurs ; pliez, roseaux ;
Murmurez, flots et chœurs d’oiseaux.
La nature a filé sa grâce
Du plus beau fil de ses fuseaux.
Vous caracoleriez près d’elle
Sur des chevaux d’un sans royal ;
Vous pourchasseriez le rebelle
Comme un gibier seigneurial,
Qui pour sa jambe de Diane,
Qui pour ses lèvres de rubis,
Pour sa souplesse de liane,
Pour ses yeux noirs, vrai paradis,
Elle esquiverait, diaphane,
Les Nemrods et les Amadis.
Inclinez-vous quand elle passe,
Arbres et fleurs ; pliez, roseaux ;
Murmurez, flots et chœurs d’oiseaux.
La nature a filé sa grâce
Du plus beau fil de ses fuseaux.
Rêvez les pierres précieuses,
Les grands troupeaux, les fleuves d’or,
Les étoffes les plus soyeuses,
Dont une seule est un trésor.
Imaginez une arche pleine
De tout ce qui reluit à l’œil,
Un palais dont un pied de reine
N’oserait pas franchir le seuil.
Ses yeux y toucheraient à peine,
Elle a mis plus haut son orgueil.
Inclinez-vous quand elle passe,
Arbres et fleurs ; pliez, roseaux ;
Murmurez, flots et chœurs d’oiseaux.
La nature a filé sa grâce
Du plus beau fil de ses fuseaux.
Moins haut l’aigle a bâti son aire,
Moins haut les flèches ont volé,
De moins haut s’abat le tonnerre,
Jusqu’où va son orgueil ailé.
Il va cherchant le cœur d’un sage,
Fût-il empereur ou berger ;
Reine au grand cœur, de plage en plage
Il faut errer et voyager.
La terre est un lieu de passage
Où le sage est un étranger.
Inclinez-vous quand elle passe,
Arbres et fleurs ; pliez, roseaux ;
Murmurez, flots et chœurs d’oiseaux.
La nature a filé sa grâce
Du plus beau fil de ses fuseaux.